Les ultimes pièces de Raymond Devos
De l’extérieur, la villa Hiéra, bâtisse du XIXe siècle construite en léger contrebas de la route de Paris a fière allure. En 1963, l’humoriste y a posé ses bagages pour ne plus jamais en repartir. « A l’occasion d’un gala, j’ai découvert ce coin formidable. D’emblée, il m’a semblé familier, nous disait l’artiste-poète-clown. Quelques années plus tard, je suis revenu visiter cette maison. J’ai retrouvé les mêmes sensations : un lieu de rêve, beau en toutes saisons, un enchantement. Une maison sur une hauteur, en contrebas, une petite rivière qui traverse le jardin et l’étang. Tout le monde en rêve. Quand vous avez ça, vous remerciez le Seigneur ou quelqu’un d’autre. Après un spectacle, se dire, je vais rentrer chez moi, c’est une promesse de bonheur. »
Pendant 43 ans, Raymond Devos monte les deux étages de sa villa, respirant l’air du dessus, jouant de la scie musicale en dessous, allant avec son épouse Simone bras dessus dessous observer les chevreuils qui traversent le parc. « C’était un habitant comme les autres, témoigne Guy Loriot, membre actif de la Fondation. Plutôt réservé même, il s’abritait souvent derrière de bons mots pour ne pas avoir à se livrer. »
Une phrase nous accueille pour commencer : « Lorsqu’on a la prétention comme moi, d’entraîner les gens dans l’imaginaire, il faut pouvoir les ramener dans le réel et sans dommage. C’est une responsabilité. » Pendant deux heures, c’est dans cet exercice de funambule entre magie et réalité que nous plonge la visite. Témoignages de personnes l’ayant connu (Juliette Greco, Dany Boon, Charlebois…), photographies sublimes de Micheline Pelletier (épouse de feu Alain Decaux), vidéos historiques obtenues grâce à un partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel, font revivre le poète de l’incongru.
Dans le salon, une photo de RTL prise en 1968 rassemble toute la fine fleur artistique de l’époque, de Dalida à Charles Aznavour. Sur les étagères de la grande bibliothèque on aperçoit également en noir et blanc Georges Brassens en grande discussion avec Raymond. « On a essayé de remettre en place tout ce qui lui tenait à coeur, » témoigne Françoise Gossare, happée par la Fondation il y a plusieurs années. Pendant de longs mois, les bénévoles de la Fondation ont minutieusement inventorié tous les petits objets de la maison, pris des notes et des photos, classé, trié pour restituer au mieux l’atmosphère qui régnait dans la maison de l’artiste. « Une équipe aidée de professionnels a travaillé sur la mise en scène, explique Françoise. Jacques Rouveyrollis, éclairagiste majeur de la scène française s’est occupé de la mise en lumière des pièces tandis que le son a été confié à Claude Warnier. Les deux l’ont fait bénévolement, c’est une grande chance pour la Fondation. »
Au premier étage, place à la musique. Une salle accueille tous les instruments qu’aimait utiliser Raymond dans ses spectacles. Harpe, xylophone, guitares, tambour… Pour l’écouter, il suffit d’appuyer sur l’une ou l’autre des touches du piano. Par enchantement, la musique se met alors à jouer. « Raymond passionné par les instruments de musique les désosse et en transforme certains au gré de sa fantaisie, explique Anne-Marie Jancel permanente de la Fondation. Il apprendra à jouer de plus de 17 instruments dont les plus étonnants sont issus de l’univers des clowns comme la scie musicale ou le concertina. »
Le dernier étage est sans doute le plus fascinant. On entre dans son bureau, son petit musée comme il l’appelait. « Etre raisonnable en toutes circonstances ? Il faudrait être fou…» disait l’artiste. Là, dans un bric à brac organisé, se mêlent un tracteur, des costumes de scène, un lit, un train miniature, un monocycle, une longue-vue, des boules de jonglage, un castellet dans lequel on retrouve son personnage entouré de Charlie Chaplin et d’un comédien dell’Arte. « Nous avons reconstitué cet espace d’après les photos, explique Françoise qui pense un instant avoir oublié la harpe. Ah, non ouf elle est là. » Le son et la lumière s’allument à mesure que l’on progresse. Un monde de rêves et de poésie s’anime. Pas de doute, l’âme de Raymond Devos flotte par là.
Vers la fin du parcours, l’artiste nous offre une dernière phrase dans une grande bulle rouge posée sur le mur de l’escalier. « Mesdames et messieurs, je n’ai jamais osé vous le dire mais c’est fou ce que je vous aime. » En sortant dans le jardin, nous prend alors l’envie de crier : « Raymond tu nous manques. On ne sait pas où tu es parti, mais où que tu chois, chois bien ! »
Article d'Hélène Binet pour l'Echo du Parc n°73 (janvier 2017)