C’est l’une des grandes inventions humaines : l’éclairage. Il nous permet de vivre en l’absence de soleil. L’éclairage artificiel nous rassure aussi, sans doute en écho à ces temps anciens, où la lumière était associée à la civilisation et la sécurité, tandis que l’obscurité renvoyait au monde sauvage et dangereux. Ainsi, partout, la surface éclairée a accompagné l’urbanisation et augmente régulièrement : 6% par an en moyenne en Europe (1).
Problème, c’est aussi une source importante de nuisances pour la faune et la flore. « Pour la biodiversité, déjà très
fragilisée, la pollution lumineuse est un fléau aussi important que la pollution de l’air, de l’eau et des sols, et la disparition des milieux naturels, » souligne Fançois Hardy, chargé de mission environnement au Parc.
Changer d’ampoules… et d’habitudes
Plus de 30% des animaux vertébrés et 65% des invertébrés sont nocturnes et attendent la nuit pour s’activer. Et si elle est envahie par l’éclairage, tout est perturbé. Les papillons de nuit, irrésistiblement attirés par la lumière, s’agglutinent autour des lampadaires au lieu de butiner. Ils deviennent des proies faciles pour les chauves-souris et voient leurs populations décliner. Idem pour certains rongeurs ou amphibiens, face aux rapaces. D’autres, à l’inverse, fuient cette clarté : les cervidés se replient sur des zones plus sûres, ce qui restreint leurs déplacements. Les grenouilles, elles, font tout plus vite à la saison de reproduction, négligeant la parade nuptiale, s’accouplant avec le premier venu,… limitant ainsi le brassage génétique nécessaire à la résistance de l’espèce.
Il est donc crucial de choyer la « trame noire », l’ensemble des milieux empruntés par les espèces nocturnes. « Mais nous n’avons pas voulu nous lancer dans de longues études pour déterminer les zones prioritaires à éteindre, raconte François Hardy. Nous sensibilisons tout le monde. Même en zone urbaine, il y a des impacts. » Bien sûr, pas question
d’éteindre une route dangereuse ou un lieu public fréquenté tard le soir. Mais on peut supprimer les lampadaires en zone naturelle, ceux installés à des fins esthétiques, ou les éclairages décoratifs des jardins privés – car même les faibles puissances jouent.
On peut aussi éteindre l’éclairage public en pleine nuit. Spécialiste énergie au Parc, Betty Houguet accompagne les communes qui souhaitent réduire leur éclairage : extinction des feux entre 23h et 5h pour l’une, ou bien entre minuit et 6h pour l’autre… Quatre communes ont été les pionnières en 2011, elles sont à présent dix fois plus. « Quand des élus voient que la démarche se développe autour de chez eux et que cela se passe bien, ils ont envie de s’y mettre ! D’ailleurs, le webinaire sur la trame noire que nous venons d’organiser avec les trois autres Parcs franciliens, a attiré 120 élus ! »
Betty Houguet encourage aussi les élus à adapter leur matériel d’éclairage : « On éclaire souvent beaucoup trop et trop
fort ». Sa méthode ? Faire un diagnostic et proposer des solutions sur mesure, selon les besoins, rue par rue. L’aide que propose le Parc pour soutenir les communes décidées à réduire la pollution lumineuse atteint 70% de leurs investissements, jusqu’à 8 000 euros. Ensuite, les économies sont indéniables, de 50 à 75% de la dépense énergétique ! Depuis qu’il éteint la nuit et a changé de lanternes, Le Mesnil-Saint-Denis économise ainsi 36 000 euros par an. Il y a aussi l’intérêt paysager : le ciel étoilé apparaît de plus en plus comme une richesse, propre au cadre de vie rural. Ok, mais la sécurité ? Les premières communes qui ont commencé à éteindre la nuit ont constaté qu’il n’y a pas d’augmentation des cambriolages ou incivilités quand la lumière baisse. Même constat sur les routes non éclairées après minuit : se sentant plus vulnérables, les automobilistes sont en fait plus vigilants et roulent moins vite2. Sans parler des effets directs pour notre santé, la surabondance de lumière perturbant notre rythme veille-sommeil…
Et si se reconnecter à la nature, c’était aussi retrouver de vraies nuits ? Nous aurions presque oublié que nous sommes des animaux diurnes !
Cécile Couturier pour l'Echo du Parc n°87