La propreté n’est pas seulement une condition de santé, elle profite encore à la dignité, à la moralité humaine, elle assainit, elle embellit le plus pauvre réduit, la mansarde la plus misérable, et suppose dans les familles, mêmes les plus indigentes, le sentiment de l’ordre, l’amour de la régularité et une lutte énergique contre l’action dissolvante de la misère ; tandis qu’un logement malpropre, des vêtements souillés, engendrent à la fois les maladies et le désordre.
Projet de loi pour favoriser la création d’établissements modèles de bains et lavoirs au profit des classes laborieuses, 1850.
UNE HISTOIRE LIÉE À L’HYGIÈNE
Avant l’institutionnalisation des lavoirs, les installations pour laver le linge en extérieur étaient rudimentaires : une simple pierre ou planche placée au bord d’un point d’eau, parfois des pierres rassemblées autour d’un bassin.
A la fin du XVIIIe siècle, face aux pollutions générées par la révolution industrielle, la question de l’hygiène devient une préoccupation et les premiers bâtiments dédiés au lavage apparaissent. Mais ce sont les grandes épidémies, notamment celles de choléra en 1832 et 1849 qui suscitent une prise de conscience collective : la salubrité publique devient un impératif sanitaire et moral.
Influencés par le mouvement hygiéniste, les pouvoirs publics français envisagent alors la construction de bâtiments réservés exclusivement au lavage du linge. Les parlementaires votent, le 3 février 1851, une loi qui instaure une prise en charge jusqu’à 30% des frais d’édification de lavoirs publics, déclenchant une vague de constructions partout en France. Sous le Second Empire et la Troisième République, les communes rurales multiplient par ailleurs les puits, fontaines et abreuvoirs, déplacent leurs cimetières à l’extérieur des zones habitées, élargissent les rues et aménagent les chemins ruraux.
Les lavoirs sont construits selon une procédure définie par la loi. Ainsi, ils doivent être assez grands pour accueillir 6% du nombre d’habitants de la commune et que chaque « lavandière » ait un espace de 90 cm à 1 m. De même, le bassin doit mesurer au moins 2 m de largeur et être profond de 50 cm minimum. Il est également nécessaire que l’installation ait un débit d’eau équivalent à 5 L par minute et par habitant. En plus de ces règles nationales, des règlements communaux peuvent régir la bonne utilisation de l’équipement public par les « laveuses ».
L’histoire des lavoirs ne dure qu’un peu plus d’un siècle, leur usage ayant cessé dans la seconde moitié du XXe siècle avec l’arrivée de l’eau courante dans les foyers. L’apparition des bacs en ciment puis des machines à laver mettent fin à la pratique de la lessive collective, harassante pour les femmes.
UNE FORME DE LAVOIR ADAPTÉE À L’ALIMENTATION DE L’EAU
Grâce à un inventaire participatif, nous avons localisé les traces de 100 lavoirs au sein du Parc, répartis sur 36 communes. Un lavoir est un aménagement autour d’un point d’eau composé d’un petit bâtiment dont la toiture et les murs servent à protéger les « laveuses » des intempéries et du soleil. Sur le territoire du Parc, les lavoirs sont construits en moellons de meulière, enduits à la chaux. La charpente est constituée de fermes et de poteaux qui reposent sur des dés en grès puis en ciment, pour éviter le pourrissement du bois. Les couvertures sont souvent en tuiles mécaniques, modèle industriel qui fait son apparition dans la seconde moitié du XIXe siècle, plus rarement en tuiles plates ou en ardoise. Pour accéder à l’eau, des margelles inclinées, appelées pierres ou carreaux à laver, sont généralement des dalles de grès ou des planchers en bois mobiles s’ajustant à la hauteur de l’eau grâce à un système de chaines et poulies. L’eau est parfois retenue dans un bassin. Elle peut également être canalisée vers le lavoir par de simples murets. L’eau naturelle qui l’alimente peut provenir d’une rivière, d’une source ou d’une mare.
Les lavoirs de rivière, au fil de l’eau (51 lavoirs)
Ouverts sur la rivière, ils sont souvent clos par trois murs. Leur toiture peut être à deux versants mais forme souvent un appentis (un seul pan). Parfois, pour agrandir l’espace de travail, deux lavoirs se font face de part et d’autre de l’eau. Celle-ci peut être en partie déviée, canalisée et retenue grâce à un muret et à une vanne actionnée pour remplir le bassin, un déversoir ou une vanne de décharge permettant alors de le vider. Le fond n’est pas dallé pour éviter qu’il ne s’encrasse de limon. En revanche, le sol du lavoir est pavé de grès et légèrement en pente pour permettre l’écoulement des eaux du linge trempé ou des crues de la rivière.
Les lavoirs de mare, une eau contrainte (5 lavoirs)
D’allure similaire aux lavoirs de rivière, ils sont accolés à la mare et ne sont ouverts que du côté de l’eau. La mare en question sert aussi parfois d’abreuvoir. Bien que peu hygiénique, l’usage de la mare témoigne du manque d’eau courante dans certains hameaux. Pour les lavoirs de mare, les conditions ne sont donc pas idéales : leur alimentation est très irrégulière car elle dépend du ruissellement des eaux de pluie, et la pollution y est plus importante du fait du lent renouvellement de ses eaux.
Les lavoirs de source, à bassin (17 lavoirs)
Le lavoir de source est un bassin rectangulaire qui peut être couvert de deux ou quatre pans de toiture reposant sur des poteaux de bois. Si le lavoir n’est pas trop exposé, il n’est pas clos de murs mais entièrement ouvert sur l’extérieur. On trouve aussi des lavoirs à impluvium, composés de trois ou quatre pans de toitures inclinés vers le bassin central, permettant d’y recueillir les eaux de pluie tout en protégeant les « laveuses ». Des murs ferment en partie l’ensemble sur l’extérieur, tandis que des poteaux en bois ou colonnes en fonte soutiennent les toitures côté bassin. Le fond des bassins est généralement pavé ou dallé ou enduit au mortier pour les rendre imperméables et en faciliter le nettoyage. Les quatre côtés sont accessibles et dotés de margelles de lavage en pierre. Une vanne permet de gérer l’écoulement de l’eau, tandis qu’un déversoir rend possible le débord du trop-plein.
Rincer ou laver ?
Contrairement à une idée reçue, l’activité principale au lavoir était le rinçage du linge et non le lavage. En effet, le linge courant, de corps et d’habillement, consommant peu d’eau, étaient lavé dans les lieux d’habitation et seulement rincés au lavoir. En revanche, les lavoirs étaient utilisés pour laver, à raison de deux fois par an, lors de la grande lessive ou « buée », le linge de maison comme les draps, nappes ou le linge de grosse toile.
Après deux jours de trempage dans l’eau mélangée à de la cendre, les « laveuses » amenaient le linge au lavoir communal sur des brouettes. Il fallait savonner, battre le linge, puis le rincer dans de grandes quantités d’eau avant de l’étendre. On amenait le linge encore humide au lavoir, puis il était savonné sur la margelle et battu pour que le savon pénètre dans les fibres. Les « laveuses » pouvaient également utiliser une brosse à chiendent pour frotter le linge. Le processus de battage et frottage pouvait être répété autant que besoin, puis le linge était rincé, mis à égoutter sur une barre en bois, une branche ou une haie, et enfin étendu sur des cordes ou à même l’herbe des prés.