Tout le monde reconnaît aujourd’hui le rôle essentiel des abeilles, pollinisatrices indispensables à la vie de notre écosystème et composantes clés d’une agriculture durable. Pourquoi un conservatoire ici et pourquoi l’Abeille noire ?
Lionel Garnery : Les deux questions sont indissociables. On parle de conservatoire car il s’agit d’une espèce d’intérêt agronomique manipulée par l’homme. 26 races géographiques d’abeilles ont été décrites, dont une dizaine en Europe. Nous sommes ici sur l’aire de répartition historique de l’Abeille noire, l’abeille d’Europe occidentale. Apis mellifera mellifera, de son nom scientifique, est particulièrement résistante et bien acclimatée à notre climat tempéré froid. On la trouve depuis les Pyrénées jusqu’à la Pologne, à l'exception de l'Allemagne où elle a été éradiquée. Depuis les années 1930, l’Abeille noire est « concurrencée » par des abeilles importées et par des hybrides plus productives mais moins bien adaptées à l’environnement local. En quelques décennies, cette race rustique, qui a résisté à toutes les glaciations et dont l’évolution s’est faite depuis un million d’années, risque de disparaître. Il devient nécessaire de la conserver et de l’élever pour l’aider à se développer de nouveau. L’apiculture commerciale, qui a failli sacrifier cette « sous-espèce » a encore du mal à se rendre compte aujourd’hui de son importance.
Réputée agressive, moins bonne productrice de miel mais robuste, l’Abeille noire a-t-elle beaucoup d’atouts ?
L.G. : Certaines souches d’Abeilles noires sont productives sans pour autant être les championnes en la matière. Cependant, l'intérêt principal de cette « sous-espèce », sa rusticité, répond à une apiculture durable. Lors de l’hivernage par exemple, elle consomme moins que d’autres abeilles, à l’automne elle est donc plus économe en provisions de miel. Et elle attend que la saison soit favorable pour pondre, c’est-à-dire quand le froid hivernal est terminé et que les premières floraisons apparaissent, ce qui lui évite d’épuiser les réserves de la ruche ; tandis que la plupart des abeilles importées pondent dès janvier. L’apiculteur doit alors nourrir artificiellement ses essaims, leur apporter du sirop en quantité parfois très importante. Économiquement, cela a un coût : sucre, transport, main-d’œuvre… que nous épargne l’Abeille noire.
Vous projetez d’avoir environ 350 ruches, quelle sera l'étendue nécessaire ?
Sébastien Grangeon : Un effectif de 300 à 350 colonies est nécessaire pour que la souche continue à être adaptée au milieu. En deçà, on sait aujourd’hui qu’on fragilise génétiquement l’abeille, ce qui entraîne des pertes plus importantes. Notre zone conservatoire, dite sanctuaire, représente un cercle d’environ 3 km de rayon et dont le centre se situe à Bullion, au hameau des Carneaux. Le conservatoire couvrira jusqu’à 7 km de rayon. Nous avons déjà 250 ruches en plaine, dans les bois, chez des particuliers… Une centaine de plus les rejoindront cette année. Cet espace est défini par des études biologiques. On sait que 70 % des mâles parcourent 3 km pour rejoindre une congrégation (lieu de rassemblement des mâles en forêt en attente du passage d’une reine pour la féconder). Quelques individus ont été observés jusqu’à 24 km, mais ils sont très rares.
Comment l’Abeille noire et les abeilles dites sauvages cohabitent-elles ?
L.G. : Notre Abeille noire a co-évolué avec les différentes espèces d’abeilles sauvages. Elles continueront à se partager le territoire et ses ressources de la même manière. Si ce n’est que, face au problème majeur des pesticides, les abeilles sauvages ont déjà disparu des zones de culture et ont été décimées par ces produits. Mais personne n’était là pour le constater et les remplacer comme le font les apiculteurs avec les abeilles domestiques. Notre but est de conserver la diversité des populations d’abeilles et de promouvoir notre Abeille noire qui, dans son fonctionnement, reste naturelle et ne devient pas dépendante de l’homme. Nous lui offrons juste un abri, la ruche, mais elle vit à l’état sauvage malgré sa classification « domestique ». La partie scientifique de notre rucher se situe dans le bois de conduisent quasi systématiquement à leur perte, ce qui n’est pas le cas avec une attaque pathogène seule, les études l’ont démontré. Les souches importées résistent moins bien aux virus pathogènes locaux et risquent d’apporter leurs propres germes pathogènes qui fragilisent les souches locales d’Abeilles noires.
S.G. : Notre zone sanctuaire est peu concernée par les pesticides, heureusement, et le taux de disparition est depuis quatre ans de 5 à 15 %, ce qui correspond aux pertes normales. Les apiculteurs amateurs, de plus en plus nombreux, cherchent à avoir deux ou trois petites ruches qui ne nécessitent pas un suivi quotidien professionnel. L’Abeille noire répond à leurs attentes. On n’a pas besoin de la surveiller tout l’hiver, de lui ajouter du sucre pour la nourrir, etc.
L.G. : Le conservatoire permet de sélectionner des souches qui sont aussi utiles à la production professionnelle. Nous avons d’ailleurs quelques professionnels dans l’association !
Votre association mène aussi des démarches pédagogiques…
S.G. : Une première série d’interventions s’est déroulée à l’école de Bullion durant l’année scolaire 2011-2012 en partenariat avec le Parc. Intitulée « Nos abeilles dans nos jardins », elle a permis aux enfants de découvrir le monde des abeilles, la vie de la ruche, de visiter un rucher, de planter des graines mellifères, etc. Depuis, nous sommes intervenus dans une quinzaine d’écoles de la Communauté de communes Plaines et Forêts d’Yveline avec qui une convention a été passée, ainsi qu’au Centre de loisirs de Cernay-la-Ville. Cela passionne les enfants !
Vous projetez de créer une Maison de l’abeille…
S.G. : Pour développer notre communication en faveur d’une apiculture durable, asseoir notre action de conservation de l’Abeille noire, proposer un accueil du public et des formations pour les apiculteurs amateurs ou professionnels, nous avons besoin de créer une Maison de l’abeille. La commune de Bullion a mis un terrain agricole à notre disposition, le Parc nous a encouragé en nous attribuant un prix au concours « Utopies réalistes ». Cependant, nous manquons encore cruellement de fonds, de partenaires et de mécènes pour financer la construction de cette maison…
Repères
- 5 ans, c’est la vie d’une reine, en moyenne, qui pond en saison 2 000 oeufs par jour.
- 1 mois 1/2, c'est la vie d’une abeille ouvrière au printemps ; 50 jours pour les mâles.
- 18 kg de miel/an, c'est la production moyenne d’une ruche.
- Ressources alimentaires locales au rythme des saisons : saule, aubépine, colza, merisier, cerisier, pommier, acacia, tilleul, châtaignier… et bruyère Erica dans le bois de Rochefort.