En plein essor en Europe du nord, les coopératives citoyennes d’énergie renouvelable font leur apparition en France. En mobilisant une épargne « éthique » et en impliquant la population dans la lutte contre le changement climatique, ces initiatives redonnent la main aux citoyens et aux territoires pour décider, localement, de leur devenir énergétique.
En Aveyron, des éleveurs de bovins ont uni leurs efforts pour monter un projet collectif de 77 toitures photovoltaïques produisant l’équivalent de la consommation électrique de 400 maisons individuelles. En Bretagne, à Bégane, mille citoyens ont réussi à monter un parc éolien de quatre aérogénérateurs dont la production doit couvrir les besoins de 8 000 foyers. En Basse-Normandie, au sud de Caen, une poignée de particuliers motivés ont installé sur les toitures de trois écoles des panneaux photovoltaïques qui produisent l’équivalent de la consommation de 27 foyers. Un peu partout en France, des initiatives de ce type voient le jour ; des citoyens s’engagent et expérimentent une nouvelle façon de s’impliquer dans la production d’énergies renouvelables.
Ils relèvent ainsi le défi de la transition énergétique pour passer d’une économie fondée sur le pétrole à une économie faiblement carbonée, c’est-à-dire émettant peu de dioxyde de carbone. L’enjeu est de répondre aux impératifs de lutte contre le réchauffement climatique. Il s’agit rien de moins que de diviser par quatre nos émissions de dioxyde de carbone. Un objectif tellement ambitieux et nécessitant de tels investissements que les dispositifs actuels ont peu de chances d’y parvenir…
Nombreux sont ceux qui l’ont compris et qui deviennent propriétaires d’unités de production locale d’électricité en prenant des parts dans le capital de coopératives d’énergie renouvelable.
Ils participent ainsi à un projet qui permet de donner du sens à leur épargne ‑ sans plus de risque qu’un placement bancaire classique ‑ tout en récupérant des dividendes : les taux de rendement sont autour de 2 % et peuvent aller jusqu’à 4 % pour les projets éoliens. Mais surtout « ils peuvent pleinement prendre part aux décisions et devenir acteurs de leur territoire, » insiste Patricia Oury de la coopérative Plaine Sud Energie. « Ce ne sont que de petits projets diront les plus pessimistes. Mais de petits projets qui peuvent se multiplier et mobiliser un capital conséquent. L’épargne financière des Français représente en effet 4 000 milliards d’euros. Près de 75% sert aujourdhui des objectifs et des placements dont l’épargnant ignore tout, » poursuit Patricia Oury. Même en tablant sur une partie de cette somme, des projets citoyens pourrait bien faire basculer le monde de l’énergie en redonnant du pouvoir au citoyen et aux territoires.
Investir éthique
Le montage de projets coopératifs dans le secteur de l’énergie n’est pas une idée complètement neuve. Déjà aux Etats-Unis dans les années 1930, la grande majorité des régions agricoles furent électrifiées grâce à des coopératives ad hoc montées par des agriculteurs. En Allemagne, elles étaient 6 000 dans les années 1920. Mais ce n’était pas alors des considérations environnementales qui les motivaient, contrairement aux initiatives qui se développent aujourd’hui comme Outre-Rhin. Le pays connaît une explosion du nombre des projets depuis 2006. Le nombre des seules coopératives, enregistrées comme telles, est ainsi passé de 75 à 750 en seulement six ans.
Ainsi, plus de la moitié des capacités électriques installées dans le pays entre 2006 et 2010 l’a été par des personnes privées et des agriculteurs. En France, le tournant énergétique a été pris il y a tout juste une dizaine d’années. Les projets émergent doucement et encore difficilement, mais sont très suivis par les médias depuis deux ans.
Leur statut juridique a des contours toujours mal taillés. Ainsi, la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) permet d’associer des collectivités et des citoyens dans un même projet, mais elle impose une gestion très contraignante. La société par action simplifiés (SAS) est beaucoup souple, mais en revanche, elle ne permet pas la participation des collectivités. Le monde associatif attend beaucoup de la prochaine loi de transition énergétique pour assouplir ces statuts.
Collecte de fonds citoyenne
La plus grande des difficultés ne tient pas au choix d’un statut. Elle réside souvent dans la collecte de fonds, car l’énergie est un domaine d’activité très capitalistique. Et toutes les entreprises n’ont pas le droit d’appeler les citoyens à investir dans de tels projets. Il faut l’aval de l’Autorité des Marchés Financiers.
L’association nationale Energie Partagée a obtenu le droit de lever ce type d’épargne. Née en 2010, l’association peut ainsi promouvoir des projets citoyens et recevoir des souscriptions. Energie partagée sélectionne les projets qui répondent aux critères de sa charte qui interdit, par exemple, les projets spéculatifs et exige que le pouvoir de décision soit aux mains des citoyens. L’association a déjà levé auprès de 3 700 épargnants quelque 7 millions d’euros dont 2,5 millions d’euros sont d’ores et déjà investis dans 17 projets. La caution d’Energie partagée permet également de rassurer certaines banques, forcément réceptives aux enjeux coopératifs comme la NEF ou le crédit coopératif, qui viennent compléter les fonds nécessaires sous forme de prêts.
Bien sûr, dans les critères d’Energies partagées se trouvent la viabilité économique du projet. C’est pourquoi certaines coopératives, comme Plaine Sud Energie qui a bénéficié du soutien de l’association, vendent leur électricité à EDF. L’opérateur national a obligation de rachat et quand le projet a été lancé, le tarif était de 0,40 €/kWh pour les vingt années que durera le contrat avec EDF. Le projet serait aujourd’hui beaucoup plus difficilement réalisable : le tarif d’achat n’étant plus désormais que de 0,28 €/ kWh. Mais certaines coopératives portent la logique du modèle jusqu’à vendre leur électricité à un opérateur coopératif : Enercoop. Créée en 2004, cette société forte de 11 000 sociétaires, achète de l’électricité renouvelable le plus souvent à des coopératives citoyennes mais aussi à des collectivités. Et elle ne vend à ses 18 000 consommateurs que le volume d’électricité qu’elle sait avoir été produit par ces centrales. Son tarif est un peu plus cher que celui d’EDF – 16 centimes le kWh au lieu de 14 centimes pour les tarifs bleus chez EDF, mais « au final, le « surcoût » pour un particulier ne représente que 2 ou 3 euros par mois » nuance Johann Vacanare d’Enercoop Midi-Pyrénées.