Agro-écologie, agriculture biologique, ces termes ont fait florès ces dernières années. Pour certains, ils fleurent bon le marketing et les nouvelles tendances. Pour d’autres, au contraire, ils s’ancrent dans la réalité des nouveaux défis à relever en ce XXIe siècle, pour une alimentation durable ; ils dessinent ainsi tous, avec des nuances différentes, une nouvelle agriculture plus respectueuse des sols, de la biodiversité et finalement de l’humain. Mais l’autre bonne nouvelle, c’est qu’avec ces techniques, le rendement et l’équilibre économique des exploitations est au rendez-vous.
Le terme agro-écologie est apparu dès 1928 sous la plume de l’agronome américain Basil Besnin. Il désigne alors la science qui vise à appliquer les connaissances scientifiques écologiques à l’agriculture. Ces pratiques agricoles se sont développées fortement depuis le milieu des années 90, d’abord dans les pays les plus pauvres et, aujourd’hui, dans le monde entier. Il s’agit de rompre avec les logiques productivistes de l’agriculture « conventionnelle » basée sur l’apport d’engrais et de pesticides pour augmenter les rendements. Ces pratiques ont conduit à une baisse de la fertilité des sols et à la destruction de la biodiversité. Depuis les années 1950, la teneur des sols en nutriments et en humus, a ainsi baissé de 30% selon le groupe d’intérêt scientifique Sol (GisSol) qui coordonne le programme d’inventaire de l’état des sols en France. Cela menace à terme notre capacité à produire notre alimentation. Considérer les sols comme de simples supports pour nourrir les hommes n’est donc désormais plus possible.
Des maraîchages bio
À Magny-les-Hameaux, Robert Pires n’aura pas de transition à faire vers l’agroécologie. Installé depuis 2015 sur un terrain loué à la commune, cet ancien responsable de gestion, reconverti à l’agriculture a d’emblée choisi de faire du maraîchage biologique. C’était pour lui une évidence : « J’essaie de me nourrir le plus sainement possible et je veux produire avec la même exigence. » Pas d’engrais chimiques et pas de pesticides donc. C’est le fumier des vaches de la ferme de Grand’Maison à Chevreuse et celui des chevaux de particuliers tout proches qui nourrissent le sol. La forêt qui borde le terrain et les haies abritent une vie riche d’insectes. Et Robert Pires laisse volontiers les fleurs se développer. Tout cela concourt à préserver la biodiversité. En retour, les insectes viennent polliniser les fleurs des plantes de légumes et limitent la prolifération d’insectes néfastes au bon développement des plantes. Le maraîcher s’interdit également de labourer, car en retournant le sol en profondeur, les labours perturbent considérablement le sol. Ils réduisent la matière organique qui s’y trouve et détruisent la microfaune qui participe à la richesse du sol et à la protection des plantes. En travaillant avec la nature et non contre elle, la qualité de ses légumes est au rendez-vous. Il est encore trop tôt pour faire un bilan sur la quantité, car la terre était une ancienne friche assez pauvre pour le maraîchage. Mais le travail de Robert Pires la bonifie chaque année.
Le modèle économique qu’a choisi le maraîcher lui assure toutefois un revenu stable. Il vend à l’avance la totalité de sa production sous forme de paniers à deux AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), l’une à Paris, l’autre à Magny. Les associations s’engagent à payer au maraîcher un prix fixe pour leur panier hebdomadaire, quelle que soit la production. Les consommateurs sont ainsi solidaires des aléas de rendement. « Parfois les paniers sont un peu moins remplis, parfois c’est le contraire comme cet été où j’ai pu mettre jusqu’à cinq kilos de tomates par semaine au lieu d’un seul » précise Robert Pires.
C’est la même ambition qui motive Pascal Valois. Il vient de reprendre l’exploitation familiale de la Ferme des Clos à Bonnelles. Son projet va se développer progressivement. Et il ne manque pas d’idées. Pour le moment, le terrain de cet apiculteur n’est qu’une vaste prairie destinée à produire du fourrage pour l’alimentation de chevaux. Elle a reçu peu d’engrais chimiques. D’ici 2017, trois hectares seront confiés à un maraîcher, respectant le cahier des charges du label agriculture biologique.
Rendement, qualité et chiffre d’affaires au rendez-vous
Les détracteurs de l’agro-écologie estiment qu’elle ne serait pas à même de nourrir l’humanité. Pourtant, ce type d’agriculture a une productivité respectable, qui est comparable au conventionnel. Un article publié en 2014 dans les Proceedings of the Royal Society (l’équivalent britannique de l’Académie des sciences française), synthétisant plus de mille études de cas, montre ainsi un écart de rendement de 20 % en moyenne, voire même de seulement 9 % en polyculture bio comparé à de la monoculture conventionnelle ! C’est finalement très peu d’écart.
« Mais ce qu’il faut surtout retenir, précise Julia Clause, chercheuse en agro-écologie à l’université de Poitiers au laboratoire Ecologie et Biologie des Interactions, c’est que les rendements sont beaucoup plus stables dans le temps qu’ils ne le sont en agriculture conventionnelle ».
John Reganold et Jonathan Wachter, agronomes à la Washington State University à Pullman (Etat de Washington), notent l’avantage du bio avec le climat plus cahotique que nous allons connaître : « En cas de sécheresses sévères, qui risquent d’augmenter avec le réchauffement climatique, les fermes biologiques ont un meilleur rendement parce que leurs sols sont mieux préservés et donc mieux à même de retenir l’eau », remarquent-ils. Par ailleurs, les deux chercheurs soulignent les revenus plus élevés qu’arrivent à dégager les agriculteurs bio par rapport à leurs collègues en conventionnel. Ils sont de 22 % à 35 % supérieurs grâce aux prix de vente plus élevés des produits, ou identiques si l’écart des prix ne dépasse pas 5 %.
Pour intensifier les cultures de façon écologique, une méthode consiste à associer dans un même champ, des cultures qui ne sont pas en compétition pour les ressources. C’est ainsi le cas des associations de céréales avec les légumineuses (pois, lupin,trèfle...). Les secondes fixent l’azote de l’atmosphère qu’elles transfèrent ensuite aux céréales pour couvrir leurs besoins. Il y a ainsi deux cultures sur un même champ, ce qui augmente les revenus de l’agriculteur. Par ailleurs, en couvrant la terre, les légumineuses limitent la propagation des ravageurs et la pousse des adventices, ces herbes non désirées qui brident la croissance des cultures. Les rendements pour les seules céréales en cultures associées peuvent même être supérieurs de près de 10 % et sont plus stables que les céréales en monoculture conventionnelle. Enfin, la qualité elle-même est au rendez-vous : la concentration en protéines des céréales grimpe de 13 %.
Loin d’être des utopistes, ces pionniers expérimentent déjà ce que devra être l’agriculture demain. Ils sont encore peu nombreux dans le Parc, faute de terres accessibles à la conversion, mais bonne nouvelle, les porteurs de projet, eux, se multiplient !
Article de Pierre Lefèvre pour l'Echo du Parc n°73 (janvier 2017)