Article pour l'Echo du Parc n°86 (mars 2021)
Etudiant à l’Université de Versailles-Saint-Quentin, Raphaël Devred mène une thèse sur « Le domaine de chasse de Rambouillet et le gouvernement de la nature » en puisant dans les archives de l’époque nombre de plans, de registres, de gravures qui permettent de retracer l’évolution de ce vaste domaine forestier. Le Parc naturel lui a également mis à disposition ses documents et son expertise sur les patrimoines vernaculaires. « Je cherche à comprendre comment, du XVIIIe siècle à nos jours, les princes, les rois, les empereurs puis les présidents se sont appropriés cet espace forestier et ont transformé le territoire et la nature de leur domaine. »
L’évolution de ce massif est liée à celle des grands seigneurs et des communautés paysannes et croise les temps forts de l’Histoire. Apparues entre les Ve et VIIIe siècles, les forêts qui occupent aujourd’hui près de 40% du Parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse n’avaient pas du tout la même physionomie et n’étaient à leur début que des petits massifs disparates. Mais pour les seigneurs du Moyen Âge, conserver la forêt s’impose comme un enjeu économique, politique et cynégétique, entendez lié aux activités de chasse. A Saint-Léger par exemple, les Capétiens nomment les comtes de Montfort les gruyers de l’Yveline : officiers chargés des eaux et des forêts pour le roi, ils ont pour mission de garder la forêt et le gibier. Ils construisent alors leur château, dont il reste les vestiges à Montfortl’Amaury. A la fin du Moyen Âge, Regnault d’Angennes acquiert une petite propriété qui servira de base au futur domaine. Il fait bâtir à Rambouillet un château fort et sa famille, jusqu’au XVIIe siècle, va imprimer sa marque dans le territoire.
Abri de bûcherons/charbonniers. Carte postale, début XXe siècle, Archives départementales des Yvelines.
La forêt offrait aussi quelques ressources aux villageois : à l’automne on y emmenait les bêtes manger les glands au sol. On pouvait récolter le bois mort, les champignons, mais aussi les fougères et bruyères pour constituer des litières animales. Les journaliers ramassaient le petit bois pour le transformer en charbon, voyageant de bois en bois pour suivre le rythme des coupes forestières.
Le XVIIIe siècle marque l’apogée du domaine de Rambouillet. En 1706, le comte de Toulouse, fils illégitime de Louis XIV, achète le domaine de Rambouillet et va chercher à l’agrandir en rachetant les propriétés voisines. Il réussit ainsi à constituer une vaste forêt de près de 15 000 hectares et une aire d’influence de 23 000 hectares.
C’est l’époque où la forêt va être largement modelée pour répondre aux besoins de l’homme. La gestion en futaie, avec des arbres replantés après les coupes, sont abandonnés au XVIIe siècle. Le taillis va être la pratique dominante : on laisse les rejets de coupe repousser depuis la souche et tous les 18 à 30 ans on prélève ces jeunes brins, qui serviront au bois de chauffage. De nombreux éléments fonctionnels liés à la chasse et la vénerie sont construits et deviennent des marqueurs du paysage encore visibles aujourd’hui : les murs des parcs, les maisons forestières, les pavillons de chasse. Des allées forestières sont aménagées avec de vastes carrefours en damier ou en étoile qui facilitent les rassemblements de grands équipages à cheval, le quadrillage du terrain par les officiers de la vénerie et l’installation de spectateurs pour observer la scène, car la chasse est à la fois le privilège des nobles et un instrument politique.
Louis XV et son équipage devant le château de Saint-Hubert. Gravure, Carte des chasses du Roi, 1764, Archives départementales des Yvelines.
Dans le Grand parc de Rambouillet, l’actuel Domaine national, d’autres transformations sont opérées pour les besoins de la chasse à partir de 1815 : des clairières sont ouvertes au coeur du domaine afin de créer des tirès de chasse : ces alignements de buissons, ponctués d’allées de sable et de courtes haies qui retiennent le petit gibier, permettent de créer des parcours où le chasseur peut progresser en tirant devant soi les faisans qui s’envolent. Sous Napoléon 1er, un seul chemin ou layon est nécessaire puisque seul l’empereur a le privilège de tirer. Sous Napoléon III, jusqu’à 9 layons parallèles sont aménagés pour offrir à des invités le privilège de tirer au côté du souverain.
De 1880 à 1940 sous la IIIe république, on chasse beaucoup le lapin dans les fermés. Ces prairies de plateau sont à l’époque maintenues rases par l’appétit du rongeur. Mais avec l’arrivée de la myxomatose, maladie du lapin qui a décimé les populations, l’herbe n’est plus arasée. Ces espaces ont depuis été recolonisés par de nombreuses bruyères et plantes de landes sèches.
En 1786, dans le parc de Rambouillet, Louis XVI créé une ferme qui deviendra Bergerie Nationale et fait importer des moutons mérinos d’Espagne. Après la Révolution en 1792 où le domaine devient bien national, de nombreux pavillons de chasse sont transférés à la Bergerie. C’est aussi dans ce parc qu’ont lieu les chasses présidentielles de 1880 à 1995.
Cette forêt de Rambouillet est aujourd’hui davantage connue et appréciée en tant que patrimoine naturel, riche d’écosystèmes et d’espèces variées en perpétuelle évolution. Elle a été classée en forêt de protection en 2009, avec de nombreux sites, espèces et arbres classés, et fait partie depuis 2011 du Parc naturel régional de la Vallée de Chevreuse.