François Bétard habite dans le Parc depuis vingt ans. À Gif-sur-Yvette, plus précisément. Et quand il arpente les rues et les sentiers, il ne regarde pas les lieux comme tout le monde : il lit les paysages à travers les roches. Les pierres qui forment les pavés ou les murs des bâtisses, les blocs de grès qui affleurent ou le sable sur un chemin, sont tous issus du sous-sol local et sont des témoins de l’histoire ancienne de la région. Très ancienne, même… des millions d’années !
Le métier de François Bétard, c’est géomorphologue. Soit la science des reliefs, au croisement de la géologie et de la géographie. Après des études à Nantes, il a fait une thèse sur la région semi-aride du Nordeste, au Brésil, puis a posé ses valises ici. Aujourd’hui, il est Maître de Conférences à l’Université Paris-Cité. Et en juin dernier, il a sorti un livre, coédité par le PNR : Curiosités géologiques du massif de Rambouillet et la vallée de Chevreuse.
Curiosités géologiques du massif de Rambouillet et la vallée de Chevreuse, éditions du BRGM, 19€. En vente à la Maison du Parc, en librairie ou sur commande : www.brgm.fr ou editions@brgm.fr
À la fois ouvrage pédagogique et guide pratique, il dresse un portrait géologique du territoire et de ses paysages, jamais déconnecté de la surface : « Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre et d’expliquer les liens entre la géologie, la géographie des paysages et l’histoire, explique-t-il. Activités humaines, aménagement, architecture, végétation… en réalité, tout cela reflète le sous-sol. »
Un passé lointain qui affleure en surface
En s’exerçant un peu, on peut en effet « lire », à travers l’environnement naturel ou urbain, la nature du sous-sol. Nombre de pavés anciens, par exemple, sont en grès : on le trouve abondamment chez nous, visible dans de nombreuses carrières abandonnées en rebord de plateau. Autre pierre locale : la meulière, cette fameuse roche caverneuse mais très résistante utilisée depuis le Moyen-Âge dans l’édification de bâtiments prestigieux (comme le Château de la Madeleine à Chevreuse ou l’Abbaye des Vaux-de-Cernay) et jusque dans la première moitié du XXe siècle pour construire les nombreux pavillons de la banlieue sud de Paris. Cette pierre meulière émane de la couche d’argile qui coiffe la surface des plateaux de Saclay et du Hurepoix sur une épaisseur de 5 à 6 mètres. Et si certaines pierres de taille sont en calcaire, comme dans la nef de l’église de Saint-Arnoult-en-Yvelines, c’est parce qu’on en trouve précisément dans le sous-sol de ce secteur…
Pour récolter les données, François Bétard a mené des recherches à partir des cartes et des archives, a puisé dans l’inventaire national du patrimoine géologique (INPG) qu’il a lui-même contribué à alimenter. Il a également mis à profit sa connaissance personnelle d’un terrain qu’il connaît bien, complétée par des explorations minutieuses. Ce travail lui a permis de retenir 22 sites emblématiques ou remarquables du massif de Rambouillet et de la Vallée de Chevreuse. On comprend alors comment la géologie a modelé les paysages que nous voyons aujourd’hui. De quelle manière les habitants se sont, à chaque époque, adaptés à la disponibilité des ressources du sous-sol (roches, eaux souterraines). Les premières traces d’exploitation des matériaux géologiques dans la région datent du Paléolithique. Silex, grès et meulière ont servi aux hommes préhistoriques à fabriquer des pointes, des racloirs ou des bifaces !
Patrimoine géologique
Nos roches sont des témoins de l’histoire humaine et de celle de la Terre sur des temps immémoriaux : « Elles font partie de notre patrimoine qu’il faut préserver, poursuit François Bétard. Le patrimoine géologique aussi est menacé, que ce soit à travers les pillages de minéraux et de fossiles ou les effets irréversibles de l’urbanisation et de l’imperméabilisation des sols qui font disparaître des sites géologiques remarquables. » D’autant que ces formations géologiques sont le support de la vie végétale et animale : « Les zones où l’on a une forte biodiversité sont souvent celles qui ont une grande diversité de roches, de sols, de reliefs et de conditions hydrologiques. La variété des habitats naturels pour les espèces dépend en grande partie de la diversité géologique ».
Dans la forêt de Rambouillet, les châtaigniers et pins sylvestres sont par exemple favorisés par l’acidité du sous-sol (meulières, sables, grès). Ailleurs, les tourbières formées sur les argiles imperméables sont des milieux accueillants pour la Potentille des marais, une plante très rare en Île de-France. L’engoulevent d’Europe, un oiseau vulnérable et sensible au dérangement, aime nicher dans les landes sèches établies sur les sables et les grès. Dans les mares formées par d’anciennes petites carrières de meulière, on trouve maintenant des amphibiens et des libellules… Des roches du sous-sol jusqu’au ciel, tout est lié !
DE LA MER AU DÉSERT
Meulières, sables et grès sont les roches les plus présentes dans le sous-sol du massif de Rambouillet et de la vallée de Chevreuse. Elles forment en quelque sorte sa « carte d’identité géologique ». Mais il y a bien d’autres roches sous nos pieds, pas toujours visibles en surface : calcaires, marnes, craie à silex...
Toutes ces roches sont les vestiges de l’histoire ancienne du Bassin parisien. Depuis sa formation à l’ère secondaire, il y a environ 250 millions d’années, il a été modelé par de nombreux changements d’environnement et de climat. La mer n’a cessé de recouvrir la région puis de se retirer, avant de laisser place à un grand désert de sable strié de dunes parallèles il y a 29 millions d’années… Au fil de centaines de milliers d’années, la région est passée des climats chauds à des périodes de glaciations… Et les humains ?
Leur influence sur les paysages a commencé à se faire sentir il y a moins de 10 000 ans. En défrichant à partir du Néolithique, ils ont accéléré l’érosion des sols, modifiant peu à peu le profil des pentes et des fonds de vallée. Le phénomène s’est accentué au Moyen-Âge : défrichements, mais aussi création d’étangs pour la pisciculture, canalisation et détournement de rivières pour les moulins… Quant aux carrières, elles ont été ouvertes dès l’Antiquité et se sont multipliées au Moyen-Âge. De la fin du XVIIIe siècle jusqu’à l’entre-deux guerres, l’exploitation des « grès à pavés » était une véritable industrie !