Thèse sur les cerfs
Etude de la diversité génétique des populations de cerfs élaphe (Cervus elaphus) en Île-de-France, en liaison avec l’anthropisation.
Etude de la diversité génétique des populations de cerfs élaphe (Cervus elaphus) en Île-de-France, en liaison avec l’anthropisation.
Marie Suez, Eric Bonnivard, Paula Graça, Dominique Higuet. Sorbonne Université, UPMC Univ Paris 06, Institut de Biologie Paris-Seine, Evolution Paris-Seine (UMR7138), 7, quai Saint Bernard F-75006 Paris, France. Financée par une bourse CIFRE en partenariat entre VINCI-autoroutes COFIROUTE et le Parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse.
Le cerf élaphe est le plus grand mammifère sauvage présent en France. C’est une espèce autochtone ayant des domaines vitaux allant de 1000 à 10 000 ha, respectivement pour les femelles et les mâles avec une capacité de dispersion pouvant aller jusqu’à 100km. Actuellement en Ile-de-France, d’après les naturalistes, l’urbanisation aurait scindé les noyaux de populations existant, créant 8 noyaux dans le sud et trois dans le nord (figure 1).
En effet, depuis les années 1960, la région Ile-de-France (IDF) a été largement fragmentée par les différents réseaux de transports. Six autoroutes (A10, A6, A5, A4, A1 et l’A13), 3 nationales 4 voies (la N12, N10 et N20), 4 lignes à grande vitesse (LGV), et une voie ferrées à forte fréquentation (Les LGV Sud-Ouest, Sud-Est, Est, Nord et la ligne de train Ouest) ont été construites en une soixantaine d’années. De plus, certaines autoroutes et lignes de trains ont été jumelées (couples A10/LGV Sud-Ouest, A5/ LGV Sud-Est, A13/ Ligne-Ouest). Cet ensemble de voies de circulation forme un réseau en étoile tout autour de Paris, fragmentant les forêts et donc possiblement les populations de cerfs. A ces infrastructures vient se rajouter l’expansion des zones urbaines avec une densité de population très élevée (986 habitants/km²).
Une telle fragmentation peut conduire à une diminution des flux de gènes entre populations conduisant à une perte de diversité génétique intra-population suite à une baisse de la taille efficace. Ceci peut avoir pour conséquence une plus faible probabilité d’adaptation des populations à de nouvelles conditions environnementales. Toutefois bien que l’anthropisation semble avoir des effets négatifs, elle peut également limiter ses propres effets, c’est par exemple ce que tendent à faire les passages faune. En effet en recréant des connectivités entre populations les passages faune permettent de maintenir des effectifs efficaces plus élevés. Dans la région Ile-de-France, les voies de transports A10/ LGV Sud-Ouest, A1, A4, A6, LGV Est, LGV Nord ont été pourvue de passage faunes. Nous trouvons des passages faune inférieurs de type tunnel ou viaduc et des passages faune supérieurs.
Nous nous sommes posé la question de la réalité génétique des observations naturalistes, et avons donc étudié l’éventuelle structuration génétique des populations de cerfs en IDF, en liaison avec l’anthropisation.
Grâce à la collaboration de trois fédérations de chasse, les Fédérations Départementales des Chasseurs de Seine et Marne (FDC77) et de l’Oise (FDC60) ainsi que la Fédération Interdépartementale des Chasseurs d’Ile-de-France (FICIF), nous avons analysé 345 échantillons répartis sur 10 des 11 populations géographiques. La population DO du sud de la région (figure 1) n’a pu être échantillonnée, du fait de la quasi disparition de cette population.
Nous avons choisi d’utiliser 17 locus microsatellites indépendants. En moyenne ces marqueurs présentaient 10,5 allèles chacun permettant ainsi d’avoir un pouvoir discriminant suffisamment élevé pour étudier la structuration génétique des populations de cerfs.
Pour déterminer l’éventuelle structuration génétique, nous avons utilisés deux méthodes, une analyse discriminante en composante principale, et une méthode de clustering. Ces approches permettent de visualiser les populations géographiques échangeant des flux de gènes et celles entre lesquels ils sont interrompus (barrières).
Parallèlement, nous avons réalisé une approche de génétique du paysage. Cette méthode consiste à modéliser le paysage afin de trouver le coefficient de perméabilité de chaque composante du paysage (forêt, champs, infrastructures de transports, passages faunes) permettant d’obtenir des chemins de plus grande perméabilité (moindre coût) entre les populations. Ensuite nous cherchons à corréler la matrice de perméabilité à notre matrice de distances génétiques entre populations. La combinaison de coefficients maximisant la corrélation entre les deux matrices nous permettra d’évaluer le poids de chacune des composantes du paysage sur la structuration génétique.
Figure 1 : Zone géographique étudiée, l’IDF. En noir = LGV ; en orange = Autoroute ; en rose = Nationale 4 voies. Les pointillés correspondent aux infrastructures pourvues de passages grande faune.
Aire géographique Sud. Localisations des populations de l’Ouest vers l’Est : DR = au nord de la Nationale N12 ; RO = entre la N12 et la N10 ; RE = entre la N10 et le jumelage A10/LGV Sud-Ouest ; DO = entre le jumelage A10/LGV Sud-Ouest et la N20 ; EO = entre la N20 et la zone industrielle de la Vallée de l’Essonne ; EE = entre la zone industrielle de la Vallée de l’Essonne et la A6 ; FT = entre la A6 et le jumelage A5/LGV Sud-Est ; VF= à l’Est du jumelage A5/LGV Sud-Est. Aire géographique Nord : population NO = à l’ouest de l’autoroute A1 et de la LGV Nord ; NC = entre la A1 et la LGV-Nord ; NE = à l’Est de la A1 et de la LGV-Nord. Les populations entourées sont celles pour lesquels nous avons obtenus des échantillons.
Par les deux méthodes nous mettons en évidence l’existence de trois grands groupes génétiques (de part et d’autre des jumelages en gris sur la figure 2). Chacun de ces trois grands groupes génétiques est lui-même sous structuré en deux sous-groupes génétique (de part et d’autre des axes en bleu sur la Figure 2).
L’analyse fine des résultats semble indiquer que les barrières entre les populations ne sont pas totalement imperméables et que des flux de gènes existent entre les populations même s’ils semblent limités.
Figure 2 : Les populations forment 3 grands groupes génétiques. Les populations appartenant à un même groupe sont de la même couleur. Les triangles noirs représentent les barrières aux flux de gènes entre les 3 grands groupes génétiques. Les triangles bleu représentent les barrières aux flux de gènes sous structurant chacun des groupes.
Nous obtenons la meilleure corrélation entre la perméabilité du paysage et notre structuration génétique (Tableau) quand :
Tableau : Coefficients des différentes composantes du paysage donnant la plus forte corrélation entre perméabilités et distances génétiques. Ici les jumelages sont considérés comme une seule très grande infrastructure.
Les infrastructures routières et ferroviaires sont des barrières aux flux de gènes d’autant plus si ces infrastructures sont jumelées. Par contre, les passages faune permettent de rétablir ces flux de gènes avec une efficacité différentielle. Les passages de type viaduc et supérieurs sont clairement plus efficaces que les corridors.
Toutefois notre étude est une image à un instant « t » et il ne nous a pas été possible d’avoir une vision dans le temps de l’évolution des populations. De ce fait, il est possible que notre interprétation soit sous-estimée, à la fois au niveau des barrières que constituent les infrastructures qu’au niveau de l’efficacité des passages faunes à permettre les flux de gènes.