Ce sont ces modèles encourageants qui pour le chercheur doivent nous inspirer si l’on veut parvenir à nourrir les générations futures avec une agriculture saine.
Article de Cécile COUTURIER pour l’Echo du Parc n°86 (mars 2021)
Pensez-vous qu’une nouvelle forme d’agriculture, à la fois productive et bonne pour la nature, peut émerger ?
Aujourd’hui, du fait de l’utilisation excessive de traitements chimiques ou du labour, les sols souffrent. Si nous continuons ainsi, ils ne pourront pas nourrir les générations futures. L’urgence est donc de préserver l’incroyable biodiversité de nos sols. Ces dernières années, grâce aux progrès scientifiques, nous avons compris qu’un sol est peuplé d’une foule d’animaux pas plus grands qu’un millimètre, de champignons et de bactéries. Ils aident à nourrir les plantes, améliorent leur capacité d’absorption de l’eau, renforcent leur système immunitaire... Une vie microbienne riche, c’est donc un sol fertile et des plantes en bonne santé. Ce sont des rendements élevés, sans ajout de produits phytosanitaires.
Pas si simple de changer de cap, quand on sait les difficultés auxquelles sont déjà confrontés les agriculteurs…
C’est vrai, et je ne veux pas les pointer du doigt. En France, l’agriculture conventionnelle n’est pas aussi nocive que dans d’autres régions du monde. Surtout, les producteurs sont aujourd’hui assaillis de nouvelles exigences sociétales mais ne disposent pas des outils leur permettant de les mettre en oeuvre ! De nombreuses solutions existent pour restaurer les écosystèmes sans compromettre les rendements. Il faut « juste » accepter qu’un sol que l’on commence à protéger ne sera pas forcément plus productif à l’instant T : il le sera au bout de trois-quatre ans, et sur les 150 prochaines années.
Alors, par quoi commencer ?
D’abord, il y a la question du labour. Quand on retourne la terre, on tue ses micro-organismes. On a pu montrer qu’à conditions égales, une terre labourée a une biodiversité environ dix fois moins importante que si elle n’était pas labourée, et une érosion dix fois plus forte (1). La priorité est donc d’arrêter le labour profond et régulier au profit de griffages en surface ou de simples aérations, comme le prône par exemple l’agriculture de conservation.
Vous soulignez le rôle crucial des arbres…
Oui ! Que l’on ait des arbres isolés ou des haies, ils protègent du vent et aident les cultures à résister aux aléas climatiques, en particulier la sécheresse. Ils augmentent sensiblement la fertilité du sol grâce à des processus naturels tels que les mycorhizes. C’est pour cela que je défends l’agroforesterie, qui consiste à planter des arbres et des haies, dans les parcelles ou les prairies. On a prouvé que cette association permet de produire 1,5 fois plus sur une même parcelle par rapport à l’agriculture conventionnelle ! (2) Même dans des sols argileux, où l’on craint souvent que les racines viennent boucher les drains artificiels, on peut agir. On peut retrouver les anciens écoulements, qui ont souvent été inclus dans les champs, et sont en fait le lieu idéal de plantation d’arbres : il faut favoriser le drainage historique.
Qu’est-ce que ça donne, sur le terrain ?
Ce sont par exemple des petits fruits au milieu de productions annuelles. Ou des animaux dans les vergers, à l’instar des traditionnels prés-vergers mirabelliers de Lorraine. En ce moment, avec l’INRAE Dijon et la Chambre d’agriculture de Dordogne, nous évaluons la culture de maïs sous noyers en Dordogne, Lot et Corrèze (3). Nous avons déjà constaté que, sous un noyer, le maïs compte davantage de champignons mycorhiziens, en partie nourris par les arbres. L’agroforesterie est même réintroduite en viticulture. C’est le cas du vignoble bordelais à Pomerol (Château Cheval-Blanc) : ici, pour désherber, on lâche des moutons. Dès que sortent les premières feuilles, hop, on les déplace ! La production est assurée avec très peu, voire pas de chimie, et le sol n’est plus du tout travaillé ! Il y a une complémentarité élevage-agriculture à retrouver, pour mobiliser une plus grande complexité écologique.
Et du côté du choix des plantes ?
Le fil rouge est aussi de recomplexifier : varier les espèces au sein de la parcelle. Quand elles sont bien maîtrisées, les associations de plantes sont bénéfiques. Voyez le duo légumineuses-graminées : les premières apportent de l’azote et acidifient le sol, quand les secondes mobilisentle fer. Au sein d’une même espèce aussi (par exemple, le blé tendre), on peut mélanger les variétés (il en existe des centaines). Les mélanges renforcent aussi la résilience du milieu. Il est prouvé que parasites et maladies se propagent mal dans des parcelles « panachées » (4). En somme, les solutions existent... mais elles ne pourront se déployer que si l’agriculture est aidée : par une recherche mieux pilotée, des décideurs mieux formés aux sols et des consommateurs sensibilisés. Mettons-les en oeuvre vite, c’est possible !
A l’instar du saut de méthode que nous avons su faire après-guerre vers l’agriculture conventionnelle : il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas prendre rapidement une nouvelle direction !
POUR EN SAVOIR PLUS
Jamais seul, ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, M.A Selosse, éditions Actes-Sud
- (1) Soil erosion and agricultural sustainability, PNAS, 2007 ; Atlas français des bactéries du sol, INRA-ADEME, 2018.
- (2) Christian Dupraz, INRA Montpellier
- (3) Projet MycoAgra : mycoagra.com
- (4) Notamment Cereal variety and species mixtures in practice (AgroParisTech), EDP Sciences, 2000.