La Meulière, pierre précieuse d'Ile-de-France
Petit voyage géologique et historique dans l’univers fabuleux de ce matériau naturel de construction, caractéristique du patrimoine architectural de la région francilienne, la pierre meulière.
Petit voyage géologique et historique dans l’univers fabuleux de ce matériau naturel de construction, caractéristique du patrimoine architectural de la région francilienne, la pierre meulière.
Pour lever toute ambiguïté, la dénomination “meulière” ne provient pas de la commune limitrophe du Parc Les Molières (91) où était exploitée une vaste carrière. L’appellation de pierre meulière se retrouve, au-delà du Bassin Parisien, dans de nombreuses régions de France et du monde : Jura, Haute-Savoie, Périgord, Ardèche, Chartreuse, etc. ainsi qu’en Italie, en Chine, au Burkina Faso, aux Pays-Bas, aux États-Unis…
Pierre à meule, c’est là son origine, elle revêt une dimension nourricière et planétaire (osons !) dans la mesure où elle doit son nom à la fonction qui lui a été dévolue : cette « pierre à pain » pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Alain Belmont, est en effet celle des meules qui broyaient les grains de blé, base historique de l’alimentation de notre civilisation. La science géologique a observé plus d’une quinzaine de faciès de roches sédimentaires siliceuses et leur a attribué le nom générique de meulière.
Exploités jusqu’à la fin du xixe siècle environ, 206 sites d’extraction ont été recensés en France. Les blocs les plus denses, de couleur grise ou parfois blanche, jaune ou gris-bleu, étaient destinés aux meules, tandis que, plus en surface, les fragments rougeâtres ou ocre étaient retenus pour la construction.
La géologie spécifique de l’Île-de-France a donné à cette roche rugueuse et caverneuse une identité propre à notre habitat.
Les gisements du Bassin Parisien s’étendent de la Normandie (Houlbec- Cocherel à l’ouest de Vernon dans l’Eure) jusqu’aux abords de Reims et d’Épernay, et se concentrent entre le Vexin, la Beauce, le Hurepoix et la Brie. Une véritable industrie s’était développée à La Ferté-sous-Jouarre en Seineet- Marne, la capitale mondiale de la pierre meulière. Les meules extraites dans ses carrières avaient une dureté exceptionnelle et équipaient des moulins jusqu’en Nouvelle- Zélande ! La carrière des Molières a produit, estime-t-on, de 100 000 à 200 000 meules en 700 ans d’exploitation. Les meules de la région étaient acheminées jusqu’au port de Rouen pour être exportées par vaisseaux.
Cette roche dure et inaltérable est née d’une réaction physicochimique de cimentation au début de l’ère tertiaire : sur la couche des sables de Fontainebleau, le quartz s’est mélangé au calcaire déposé au fond du Bassin Parisien par l’alternance de la mer et des formations lacustres d’eau douce. Les pluies ont dissout le calcaire ne laissant que la silice, minéral courant le plus dur qui soit.
L’oxydation d’argile ferrugineuse et rouge lui apporte ses variations de coloris. Les cavités de la meulière sont dues à l’action de l’eau chargée de gaz carbonique lors de la dissolution du calcaire. Ces alvéoles contribuent à alléger la pierre ce qui facilite son extraction, son transport et sa mise en oeuvre. Une structure qui offre d’autres avantages dans le bâti : elle accroît le pouvoir isolant thermique et phonique de l’ouvrage, elle facilite l'’adhérence d’enduits et de mortiers.
Non gélive et résistante à l’érosion, on l’adopta très vite pour réaliser fondations et enrochements de ponts. La Belle Époque a signé l’avènement de ce matériau constitutif de villas bourgeoises. La roche était alors encore relativement abondante. en effet, les carrières de la région sont exploitées pour les pavés de grès mais elles doivent d'abord extraire les couches à meulière avant d'atteindre le grés.
Dans notre région, les traces de son usage remontent à quelques millénaires. Associée au calcaire et au grès, on retrouve la meulière dans les vestiges de tumuli de l’âge du Bronze. À la période antique, elle apparaît dans des aménagements de drainage observés à Saint-Pierre-du-Perray (91). On la trouve appareillée et maçonnée dans des monuments du second Moyen Âge, notamment les ruines de l’abbaye des Vaux de Cernay, des églises du XII siècle… Ses qualités esthétiques associées à d’autres matériaux sont mises en valeur à partir de la Renaissance pour souligner certains traits architecturaux.
Elle est aussi plus modestement utilisée pour édifier les maisons rurales, ces demeures qui font aujourd’hui tout le charme des villages. Esprit que les petits quartiers résidentiels des banlieues de Paris ont cherché à recréer il y a près d’un siècle.
Aujourd’hui, faute de carrières ouvertes, la meulière ne provient plus que de ruines et de champs cultivés où l’érosion des terres et le ruissellement des eaux les portent en surface. Et le savoir-faire de sa mise en oeuvre devient aussi rare que cette belle blonde des champs. Une pierre longtemps jugée quelconque face aux canons que sont les pierres de taille aux surfaces lisses et claires. Une pierre devenue pourtant si précieuse pour notre habitat !
Article de Patrick Blanc extrait de l'Echo du Parc n°66 (juin 2015)